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La légende de Mélusine : entre imaginaire et politique

  • Photo du rédacteur: EYED
    EYED
  • 22 juin 2021
  • 4 min de lecture

Il était une fois une fée nommée Mélusine... Dans cet article, partez à la découverte de la légende de Mélusine, une fée d’origine poitevine et médiévale dont l’histoire se diffusa dans tout l’espace européen.


Heinrich Vogeler, "Mélusine" (triptyque), vers 1910.

La légende de Mélusine prend racine dans une tradition poitevine. Selon celle-ci, la forteresse de Lusignan aurait été fondée par une fée liée à la famille des Lusignan. La première attestation écrite de cette légende se trouve dans le Reductorium morale de Pierre Bersuire au début du XIVe siècle, dans lequel la fée reste anonyme. Mais ce furent deux romans de la fin du Moyen Âge qui diffusèrent largement l’histoire de Mélusine.


Entre 1392 et 1393, Jean d’Arras composa le roman en prose Mélusine ou La noble histoire de Lusignan à la demande du duc Jean de Berry. De son côté, le Roman de Mélusine ou Histoire de Lusignan, écrit par Coudrette et achevé dans les années 1400, est un roman en vers. La version de Coudrette fut écrite à la demande de deux seigneurs de Parthenay, descendants des Lusignan. Coudrette affirma utiliser comme source un modèle en vers latins, et ce modèle perdu serait antérieur à la version de Jean d’Arras.



Dans ces romans, le roi d’Écosse Élinas a épousé une fée, Présine, avec qui il a eu trois filles : Palestine, Mélior et Mélusine. Mais Élinas manque à sa promesse de ne pas voir son épouse durant son accouchement, forçant Présine à disparaître sur l’île d’Avalon avec ses filles. Devenues adultes, les trois sœurs découvrent la trahison de leur père et l’enferment dans une montagne. Mais leur mère les punit, condamnant Mélusine à se transformer en serpent chaque samedi. Elle ne pourra échapper à cette malédiction qu’en épousant un homme qui ne devra jamais chercher à la voir ce jour-là.


Mélusine se marie avec Raymond, le fils du comte de Forez, qu’elle a aidé après qu’il ait tué par erreur son oncle lors d’une chasse. Le couple connaît la prospérité. Mélusine bâtit des cités et des châteaux, en particulier Lusignan, et donne naissance à dix garçons. Les huit premiers sont marqués par une anomalie physique qui rappelle la nature animale de leur mère. Mais, poussé par son frère qui soupçonne Mélusine de se livrer à la débauche le samedi, Raymond rompt son engagement et surprend sa femme au bain sous sa forme de serpente. Il découvre ainsi la nature animale et féerique de Mélusine.



Raymond n’avoue son forfait à personne, et Mélusine feint de l’ignorer. Lorsque leur fils Geoffroy à la Grande Dent brûle l’abbaye de Maillezais, Raymond impute ce crime à la "serpente". Mélusine prend alors la forme d’un serpent ailé et s’envole pour toujours. Rongé par la culpabilité, Raymond se rend en pèlerinage à Rome avant de se retirer au couvent de Montserrat. Chaque soir, Mélusine revient secrètement à Lusignan pour s’occuper de ses deux derniers enfants.


Mélusine de Coudrette développe également l’histoire de Mélior et de Palestine, les sœurs de Mélusine. La première est condamnée par sa mère à rester enfermée dans un château en Arménie, où doivent demeurer emprisonnés tous ceux qui échouent à l’épreuve de l’Épervier. Un descendant de Guy (un des fils de Raymond et de Mélusine) ressort vainqueur de l’épreuve, mais il ose demander l’amour de Mélior. La fée le maudit et prédit que le dernier des Lusignan à tenir le royaume d’Arménie en sera chassé et exilé. Quant à Palestine, elle est condamnée à garder le trésor d’Élinas dans la montagne du Canigou. Le chevalier qui tuera le monstre qui en défend l’entrée et gagnera le trésor pourra conquérir la Terre de Promission. Mais seul un descendant d’Élinas peut remporter ce défi. Palestine voit plusieurs bons chevaliers, dont un de la lignée de Tristan, tenter vainement l’épreuve car ils ne remplissent pas cette dernière condition. Geoffroy à la Grande Dent se décide à tenter l’aventure, mais il meurt avant de partir.


 

Enjeux et réception

Les romans de Jean d’Arras et de Coudrette présentent un récit dynastique à la gloire de la famille poitevine des Lusignan, développant leurs origines prétendument féériques. Ils mettent en scène Mélusine, une fée féconde et maternelle, protectrice, défricheuse et bâtisseuse.


Il est possible que le motif initial de la commande à Jean d’Arras ait été le besoin de Jean de Berry de justifier ses droits sur le berceau des Lusignan. En 1369, Charles V avait donné à Jean de Berry le comté de Poitou en apanage, à condition qu’il le reprenne aux Anglais. Située à quelques lieues de Poitiers, la forteresse de Lusignan constituait l’ultime point de résistance du parti anglais. Au terme d’un siège long et coûteux, la place fut investie le 12 mars 1373, mais le château résista jusqu’au 1er octobre 1374. Jean de Berry descendait de Jean de Luxembourg par sa mère, et le fait d’affirmer dans le roman que les Lusignan avaient été alliés au Luxembourg pouvait lui servir à revendiquer l’héritage de la branche éteinte des Lusignan de France. Dans cette perspective, Mélusine de Jean d’Arras fut à la fois un roman témoin de la mémoire princière et un instrument politique de sa "vérité".



La version de Coudrette fait pour sa part de chacune des filles de Présine la cause d’un fait concernant les Lusignan : Mélusine est responsable de l’essor de la famille, Palestine de l’échec des Lusignan lors des croisades, Mélior de la déchéance des rois Lusignan d’Arménie. En effet, Léon de Lusignan avait été chassé d’Arménie en 1375. Il passa les dernières années de sa vie à la cour de France, où il mourut en 1393. Dans son roman, Coudrette évoque ses funérailles.


La vogue autour de la fée Mélusine se poursuivit au début de la Renaissance. Au XVIe siècle, Rabelais s’interrogea sur sa nature dans Pantagruel : était-elle "andouille serpentine ou bien serpent andouillique" ? Liée à l’idée de fertilité, souvent bâtisseuse, Mélusine bénéficia d’une importante réception, se confondant souvent avec d’autres personnages folkloriques locaux. Sa légende se diffusa largement dans l’espace européen. Entre le XVe et le XVIIIe siècle, les romans de Mélusine furent traduits et adaptés en allemand, en néerlandais, en polonais, en russe, en tchèque, en danois, en islandais, en anglais et en espagnol.


 

Récit à la fois merveilleux et politique, la légende de la fée Mélusine imprégna durablement l’imaginaire européen.



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